In Homine Canem: Educateur Canin, les origines du chien

In Homine Canem

---------

Xavier GARCIA-LEBAILLY Dresseur Professionnel Méthode Belou Chapelle®

Les origines du Chien



Bien que plusieurs théories coexistent à l'heure actuelle, je n'ai retenu que celle qui me semble être la plus judicieuse quant à l'exploitation fusionnelle des connaissances biologiques et archéologiques d'aujourd'hui.
Cette théorie (énoncée par Coppinger) est ici articulée en 4 axes explicatifs (certains pourront trouver ça long mais chaque axe peut être lu indépendamment des autres)

  1. Notions de Vie et d'Espèce

  2. Pourquoi le Chien ne descend-t-il plus du Loup

  3. Le processus de domestication du Chien

  4. Plasticité dans la gent Canine



1. Notion de Vie et d'Espèce


Notion de Vie :
Tout être vivant est capable de transférer énergie, matière et information au sein d'un milieu qui lui est propre, tout en étant soumis à deux forces antagonistes (conservation / évolution) et complémentaires, dont les interactions tendent vers une harmonisation dynamique et aveugle (sans intentionnalité, irréversible et imprévisible).

D'après cette définition (qui n'engage que moi) le Chien est donc bien un être vivant, puisque formé d'un conglomérat de cellules communicantes entre elles et se reproduisant, assemblées en un être capable d'analyser son environnement, de réagir à des stimuli, de communiquer avec son entourage et de se multiplier en une descendance conforme mais non identique.

Notion d'Espèce :
Dérivée du mot Latin species signifiant " aspect " ou " apparence ", une Espèce animale est considérée comme comprenant toutes les variations populationnelles (génétique, morphologique, de comportement, d'habitat) d'individus interféconds à descendance fertile.

La classification Linnéenne place le Chien dans le genre Canis et lui attribue le nom d'espèce familiaris. Cependant le Canis familiaris a une descendance tout à fait féconde avec les Canis aureus (Chacal), Canis latrans (Coyote) et Canis lupus (Loup)… et peut-être d'autres encore…

Ces canidés devraient donc être considérés comme les variations d'une seule et même espèce : l'espèce " Canine " largo sensu.
Des facteurs écologiques tels que leurs biotopes respectifs (savanes, prairies, zones désertiques, villes et villages, toundra, taïga, forêt tropicales ou tempérées, …) ou diverses barrières géographiques (océan, chaînes montagneuses, déserts…) ont tendance à restreindre les hybridations entre ces variations (=> sous-espèces).

L'espèce Canine (largo sensu) présente ce que l'on nomme un morphocline (= variations morpho-physiologiques plus ou moins continues entre les individus et calquées sur les divers isolements reproductifs des populations) lui permettant une adaptation efficace (camouflage, thermorégulation…) à de nombreux milieux.
Cette variabilité du Canin est très exploitée par l'Humain pour établir de nombreuses races en fixant certains traits désirés, mais elle contribue également à la survie de l'espèce, lui conférant la capacité de se pérenniser par hybridation naturelle si certaines populations se trouvent menacées d'extinction (le Loup d'Europe de l'ouest indique un taux d'hybridation avec le Chien avoisinant les 40%)


Haut de page

2. Pourquoi le Chien ne descend-t-il plus du Loup..?


Des louveteaux sont recueillis depuis toujours par les peuples de chasseurs-cueilleurs, de même que plus récemment par les éleveurs de loups.
Ce mammifère social pourra créer des liens affectifs avec certains humains de son entourage, mais malgré la passion des dresseurs, ces loups recueillis ou nés en captivité ne seront pas apprivoisés entièrement (=> tolérer les humains inconnus sans crainte ni peur panique) et encore moins domestiqués (=> garder la maison, les enfants, les troupeaux) ou entraînés (=> sports canins, défense, chasse et rapport de proie…) comme peuvent l'être les chiens.
Malheureusement (pour la théorie de Coppinger) beaucoup sont ceux qui pensent que les hommes préhistoriques ont de par le monde patiemment sélectionné les loups les plus dociles au sein d'élevages qu'ils tenaient, aboutissant génération après génération à un animal qui dans sa quête affective était toujours plus joueur et plus soumis.

S'il est réel que le C. familiaris exprime encore à l'âge adulte des traits morphologiques et comportementaux plutôt exprimés en période juvénile chez C. lupus (oreilles tombantes, aboiements, queue en faucille, forte quête affective…) gardons-nous d'en conclure que puisque le cerveau d'un chien adulte (relativement à sa masse corporelle) correspond à celui d'un loup de 4 mois, le C. familiaris, mal fini, serait un éternel pubescent ou adolescent au comportement immature.

Lors du développement (embryonnaire, fœtal, post-natal, de croissance et pubertaire), tous les canins déjà cités présentent des phases identiques aboutissant à des traits identiques : même rapport des longueurs crâne / palais, même nombre et forme de dents, naissance des petits après 63 jours de gestation (chiffre moyen, qui fluctue entre 58 et 70 jours selon les espèces voir les individus) et qui n'ouvriront les yeux qu'à leur 13ème jour…
Ceci dit, chacun des membres de la gent canine présente aussi ses spécificités dans la genèse de ses caractères, révélant leurs différences par des hétérochronies singulières (décalages dans le temps des phases de développement).
C. familiaris atteint la maturité sexuelle entre 6 et 12 mois (contre 2 ans pour C. lupus), et les mâles sont fertiles toute l'année pour répondre aux chaleurs bisannuelles des femelles (contre une pour C. lupus) ; l'allongement du crâne et le développement des dents sont en général plus poussés chez le Loup grâce à des variations dans les vitesses de croissance des différents os, et des décalages dans les débuts et fins des phases de développement (même principe pour passer des Bouledogues au Lévriers)

Mais l'hétérochronie fondamentale dans notre relation à l'espèce Canine, qui favorise ou non la compétence à la domestication, est celle qui pilote la " fenêtre de socialisation ".

La durée de cette phase est programmée génétiquement, la fenêtre s'ouvre à un moment précis, l'expérience de vie façonne la personnalité sociale de l'animal, et la fenêtre se referme définitivement : fixant ad vitam aeternam l'essentiel des réactions sociales. C'est entre le premier tiers et le milieu de cette fenêtre qu'apparaissent la peur réflexe de l'inconnu (objet, sujet, situation...) et le comportement stéréotypé de fuite.

Le Renard argenté (Canis argentatis ou Vulpes vulpes domestica) est élevé pour sa fourrure depuis le 19ème siècle, et bien qu'il se reproduise en captivité depuis des dizaines de générations, il reste toujours délicat à gérer en raison de son tempérament sauvage.
A Novossibirsk (Sibérie), le généticien Dimitri Biéliaev sélectionna à partir des années 50 tous les individus les moins craintifs (donc les plus dociles) pour les croiser systématiquement entre eux. En 18 générations (et contre toute attente) cette sélection engendra des renards aux pelages bigarrés, à la reproduction bisannuelle, portant oreilles pendantes et queues remontantes. Ces individus utilisaient l'aboiement pour vocaliser une quête affective visiblement démultipliée (et persistante à l'âge adulte).

Les fenêtres de socialisation du Chien et du Renard argenté s'étendent toute deux de la 2ème à la 16ème semaine, le réflexe de fuite s'exprimant entre la 6ème et 9ème semaine.
Pour le Loup, cette fenêtre ne dure qu'une semaine et le réflexe de fuite apparaît seulement 6 jours après l'ouverture des yeux, au 19ème jour, c'est-à-dire avant même que les louveteaux n'aient atteints l'âge de trois semaines.

Cette contrainte semble bien trop forte pour que les éleveurs d'aujourd'hui comme d'hier puissent espérer apprivoiser et encore moins domestiquer des loups, même nés en captivité depuis plusieurs générations. L'animal farouche ne cherchera qu'une chose : s'enfuir, et ce d'autant plus qu'il aura atteint l'âge de sa maturité sexuelle.


Haut de page

3. Le processus de domestication du Chien


Il existe au moins quatre types contemporains de " chiens sauvages " :


Ces variétés, comme les différentes variétés de Loup, de Chacal et de Coyote ne présentent pas à l'âge adulte de trait juvénile (= queue recourbée, oreilles tombantes, aboiements, quête affective, pelage variable…) mais montrent au contraire des morphologies et comportements tout à fait sauvages et similaires à ceux de leurs cousins.
Pour le Dingo et le Chien chanteur, l'âge de maturité sexuelle, le nombre de portée par an et surtout la taille du cerveau sont les mêmes que pour nos chiens domestiques, révélant que les développements morphologique, physiologique et psychologique ne dépendent pas de l'état domestiqué ou sauvage.
La docilité n'est donc pas le résultat d'une immaturité quelconque, mais d'une forte capacité à s'approprier l'environnement humain.

Le Chien chanteur vit dans la forêt où il chasse pour se nourrir, mais complète son repas journalier en fouillant les détritus des villages situés sur son territoire, qu'il visite toutes les nuits (comme le Coyote américain). Evidemment, il n'est pas question d'espérer apprivoiser des chiots sauvages pour les dresser à la garde ou la chasse, puisqu'ils dépècent les proies qu'ils capturent et s'enfuient dès la maturité sexuelle atteinte ; mais cette capacité à s'introduire malgré les risques et la crainte, dans un milieu façonné par l'Humain et pour l'Humain, est la condition nécessaire à la domestication.

Les " chiens sans maître " seraient 200 à 300 millions de par le monde, déambulant librement au milieu des hommes, dans les campagnes, les villages, et les villes.
Dans les pays pauvres, ces chiens aux allures quelconques (taille et poids petits à moyens, multicolores, oreilles plus ou moins droites…) sont tolérés car ils font office d'éboueurs, nettoyant vermines et déchets, mais également de sentinelles donnant l'alerte en cas de catastrophe naturelle (incendies, tremblements de terre…), de fauves en approche ou plus simplement de l'arrivée d'un visiteur ; Plus rarement, ces chiens "aides de camps" peuvent également servir d'auxiliaire de chasse ou de nourriture d'appoint.

Les fouilles archéologiques semblent faire remonter à au moins 12 000 ans les premiers chiens apprivoisés du Moyen-Orient et d'Eurasie.
Sachant qu'aucun squelette intermédiaire entre Loup et Chien n'a été découvert, alors que dès -40 000 ans sont retrouvés de nombreux os de Loup dans les restes de campements humains (la grotte du Lazaret datée à -12 500 ans montre un crâne de Loup disposé à l'entrée de chaque abri) ; et en considérant les différents morphotypes de Chien trouvés (molossoïdes puissants d'Europe du Nord et chiens plus légers de Mésopotamie), il est probable qu'en des endroits distants et à des moments distincts, diverses races de chiens sauvages qui rôdaient autour des campements se soient progressivement accoutumées à l'Humain, s'apprivoisant en quelque sorte d'eux mêmes. C'est très certainement dans la foulée que les hommes les ont domestiqués, adoptant les jeunes les moins farouches et exploitant leur singulière fenêtre de socialisation pour mettre à profit leurs autres dispositions innées.


Haut de page

4. Plasticité dans la gent Canine


En plus d'être l'espèce Mammifère présentant le plus grand nombre de variations morpho-physiologiques, adaptées à la vie sauvage ou domestique sous toutes les latitudes, la gent canine possède à l'intérieur de la sous-espèce du Chien, des individus aux atouts très variés et dont les aptitudes peuvent être sélectionnées et favorisées au sein d'une lignée ou d'une race, mais également chez un spécimen que l'on peut orienter dans une voie d'apprentissage particulière.

La plasticité génétique dicte de nombreux traits : le Lévrier Barzoï voit croître son museau avant la naissance, entraînant un rapprochement des yeux qui lui procure une excellente perception de la profondeur, le " prédisposant " ainsi pour chasser le Lièvre.
De la même manière, les chiens de types Spitz et Nordiques ont souvent des capacités d'endurance supérieures à celles mesurées chez le Loup, ce qui en fait de très bons chiens de hallage.

C'est par une sélection drastique que les éleveurs peuvent aboutir à des chiens présentant une combinaison de caractères recherchés.

Pour exemple, le Dogo Argentino (Dogue Argentin) est un chien dont la race fût créée au 20ème siècle par le Dr Antonio Nores-Martinez, spécialement pour " la caza mayor " (= chasse au grand gibier) dans le but d'endiguer les dégâts que faisait (et fait toujours) la faune sauvage argentine parmi les plantations, les récoltes et les troupeaux.

Les riches propriétaires terriens, dont la famille Nores-Martinez, pratiquaient la chasse montée et utilisaient des chiens provenant tous d'excellentes lignées européennes de Chiens courants, Braques, Retrievers, Terriers, Lévriers...
Le problème majeur de l'époque était qu'aucun de ces chasseurs ne semblait adapté à la férocité des " proies " autochtones de l'Argentine, ni aux immenses étendues qui imposaient des traques de plusieurs jours, au travers de contrées sauvages mêlant jungles, montagnes et plaines sur des centaines de kilomètres.

De plus, les aboiements des meutes " classiques " alarmaient les animaux traqués, leur permettant de situer et tenir à distance leurs assaillants, s'enfonçant toujours plus loin dans de nouvelles caches jusqu'à être complètement hors de portée.
Mais si toutefois l'animal traqué ( Sangliers et Padrillos atteignant les 150 Kg, Pécaris de 70 Kg, Renards Rouges de Patagonie hauts comme des loups et accusant les 25 Kg, Pumas , Jaguars, Chats des Montagnes…) était pris par la meute, l'expérience a montré que rares étaient les chiens qui survivaient à leur prise.
Classiquement, l'éventration infligée par une défense de Sanglier ou une patte de Puma à des chiens déjà bien fatigués, leur portait une douleur si vive que les mâchoires lâchaient prise instantanément, et que les cris de frayeur et détresse mêlées ne semaient que confusion et panique. Les quelques minutes d'attente des maîtres et du reste de la meute suffisaient pour décimer les chiens de tête et s'échapper de nouveau...

Il fallait aux Argentins un chien alliant flair, traque silencieuse, vélocité, endurance, puissance, agilité, mordant et ardeur au combat en plus d'une grande capacité d'adaptation aux différents terrains et climats du pays.
Cette race fût construite de toutes pièces à partir du " perro de peleas cordobeo ", fameux chien de combat de Cordobes de couleur blanche (permettant au chasseur de le repérer au loin et de le distinguer du gibier) descendant de divers dogues de combats européens. Chien de petite stature mais très puissant, énergique et absolument insensible à la douleur.

Différentes qualités recherchées furent obtenues par croisement avec d'autres races :


Finalement, grâce à la plasticité physiologique, morphologique et comportementale de l'espèce Canine, les frères Antonio et Agustin Nores-Martinez ont su créer une race de chasseur hors pairs, robuste et très intelligent, que les Argentins surnommèrent " le fantôme de la pampa " en raison de ses approche silencieuse et robe immaculée, avant de l'adopter progressivement dans tout le pays.

Cependant, la plasticité du Chien ne se limite pas à des prédispositions génétiques, et un rôle fondamental pour son devenir est joué par l'apprentissage.

Par exemple, le Terre-Neuve est l'un des rares chiens autochtones du continent nord-américain. Ses origines restent floues, descendant peut-être des " chien-ours " Vikings qui accostèrent l'île de Terre-Neuve (Eric Le Rouge en 981) puis l'Amérique (Leif Erikson vers l'an 1000) ou des grands chiens noirs Sioux et Algonquins, le tout probablement croisé avec des Barbets et Molosses qui accompagnaient pécheurs et explorateurs européens.

Ce chien est un colosse (environ 71 cm pour 65 Kg) dont la race semble stable et installée sur l'île du même nom depuis 1700.
Très habile pour attraper les poissons, sa propension pour l'eau et sa force démesurée ont fait de lui un marin très apprécié. De l'amirauté (Sir Cook en possédait) aux pêcheurs Bretons qui le dressaient à traîner jusqu'à la grève les lourds filets chargés de poissons, il est devenu aujourd'hui un sauveteur en mer chevronné, capable de nager des heures dans les eaux les plus froides et de ramener à bon port 5 naufragés l'agrippant ou un zodiaque chaviré, tractant jusqu'à 3 tonnes dans le sens du vent.

Mais l'apprentissage ne s'est pas limité qu'aux métiers de la mer, et le Terre-Neuve fût utilisé par les Canadiens pour des tâches très diverses : chasse (Orignal, Loup, Ours…), garde, berger, bouvier, chien de traîneaux ou de transport du courrier et chien de compagnie faisant une nurse très appréciée, tout à fait exceptionnel dans son rôle naturel de protecteur des faibles, s'interposant de lui même entre le danger et son protégé, s'agissant aussi bien de son maître que d'un enfant inconnu, d'un chien plus petit ou du chat de la maison.
Il y a un siècle Vecchio écrivait déjà "Le chien de Terre-Neuve est à tous les points de vue un des meilleurs compagnons que l'homme puisse se vanter de posséder. Le connaître c'est l'aimer, et il est dommage que cette belle espèce soit aujourd'hui assez rare. Le terre-neuve est en général fidèle, doux et affectueux et sous aucun prétexte il ne permettra qu'on porte atteinte à son maître ou à ce qui lui appartient : il ne lui manque que la parole."


Pour conclure nous pourrions dire qu'au-delà des limites physiologiques, morphologiques et psychiques de chaque chiot, la plasticité neurale et donc mentale du Chien lui permet d'acquérir de nombreuses compétences ; le rendant dispos pour s'inscrire avec dévouement dans les nouvelles missions que lui confiera son maître, notamment celle d'animal de compagnie.


Haut de page

Bibliographie

Copyright©2006 In Homine Canem - Tous droits réservés - INFORMATIONS LEGALES

Dernière mise à jour:14/03/2010 - Droits Fotolia